Fiche d’identité
Le lieu | Combe du Bryon |
La position | Suisse |
Les caches | Réseau de la Combe du Bryon (GC3WGNW) |
Souvent, les aventures les plus dures sont celles qui laissent les plus beaux souvenirs, et ce fut clairement le cas de cette géocache suisse en mode spéléo. Sans être particulièrement extrême, cette expédition demande un peu d’engagement physique… et quand les éléments s’en mêlent, ils peuvent rapidement faire monter le niveau de difficulté d’un cran. Allez venez ! Je vous emmène passer 24 heures sous terre avec moi!
Avant de vous faire partager notre « aventure », je vais vous présenter la géocache. Il s’agit de la cache du réseau de la Combe Bryon, une cache spéléo cotée 5/5 et située non loin du lac Léman. Posée en 2012, la cache compte, en novembre 2017, 21 logs pour 10 expéditions. On est donc plutôt loin de l’autoroute à géocacheurs. Ceci s’explique par la difficulté d’accès à la cache, puisque la combe descend à – 646 mètres de profondeur et que bien sûr la boite est au plus profond. Et même si la cavité est considérée comme le -600 le plus facile, il n’en reste pas moins que le dénivelé est conséquent. Aussi, seuls les groupes avec un bagage technique suffisant peuvent espérer atteindre le fond… et plus important encore, retrouver la surface.
Cet été là, nous avions en projet de tenter le « Berger », un gouffre français mythique qui descend à plus de 1000 mètres. Nous, c’est quelques membres d’un club de spéléo et accessoirement tous géocacheurs. Évidemment il va falloir « manger » un peu de corde avant cette échéance, histoire d’arriver au mieux pour ce challenge. Et quand un groupe de spéléos/géocacheurs part s’entraîner, bizarrement ils choisissent une cavité avec une géocache au fond. Outre la cache, la profondeur de la combe y était quand même pour quelque chose. Si vous vous demandez s’il y a une géocache au fond du Berger, la réponse est non, mais par contre il y a une Earth à l’entrée. Pour ce qui est de la Combe Bryon, notre objectif est de faire l’aller/retour en 13 heures, ce qui est la durée classique de l’exploration.
8 HEURES : De bon matin, nous rejoignons un spéléo/géocacheur local qui a déjà exploré une fois ce gouffre, ce qui sera un atout important pour une progression « rapide » dans les entrailles de la Terre. Après nous être équipés, nous attaquons donc cette très belle journée ensoleillée de mai par 30 minutes de marche d’approche, les pieds dans la neige. Autant dire que le spectacle est superbe au milieu des montagnes, et équipé comme nous le sommes pour notre séjour en cavité froide, nous commençons à avoir bien chaud. Ces « petits » détails auront une importance significative sur la fin de l’aventure… mais ça, nous le saurons plus tard.
9 HEURES : Notre attaque de la cavité se fera par le Gouffre du Chevrier. Il commence par une petite salle qui mène à un P7. P7 ça veut dire « puits de 7 mètres », c’est-à-dire une toute petite descente. Puis on enchaînera sur des P22 et P25, donc des puits un peu plus sympas à descendre !
Notre progression se fait à une vitesse des plus correctes. Ne sachant pas équiper, c’est-à-dire installer les cordes en toute sécurité, je laisse les experts à l’oeuvre. De temps en temps ça râle un peu contre le système suisse qui consiste à tout spitter en monopoint. Pour traduire : les spéléos qui perforent la roche pour mettre des pas de vis sur lesquelles nous visons nos systèmes d’amarrage des cordes, les positionnent souvent par deux, ce qui permet avec un nœud ad hoc d’avoir deux points d’accroche de la corde.
Vient ensuite un méandre, sorte de fissure étroite et sinueuse, où la progression n’est pas toujours simple, surtout quand il faut évoluer à mi-hauteur. Ce méandre aboutit à la salle du chaos, qui porte ce nom du fait du chaos de roches effondrées présentes au sol. Si le début de la progression se fait dans le réseau fossile, c’est-à-dire dans des galeries sèches, la suite de l’avancée gagnera le réseau actif. Nous avons ainsi maintenant les pieds dans l’eau depuis quelque temps, et un grondement au loin nous indique que cela va s’intensifier rapidement.
MIDI : Et effectivement, le grondement est de plus en plus assourdissant jusqu’à ce qu’il soit compliqué de converser. C’est à ce moment que nous arrivons sur les cascades. La stratégie consiste à équiper une vire (tendre une corde) entre les deux rives en haut de la cascade afin de descendre le long de la chute, côté opposé, seul versant qui permet de progresser. Il semble y avoir plus d’eau que d’habitude au niveau de cette cascade.La mise en place de la vire se fera en amarrage naturel (c’est-à-dire que les équipeurs accrochent les sangles à ce qu’ils trouvent de « solide »). Aucun souci pour cette phase de la progression, nous faisons simplement attention de ne pas trop nous mouiller pour éviter le risque d’hypothermie.
À partir de là, nous quittons le réseau actif pour retrouver nos galeries sèches. Ici, c’est plutôt de la promenade, si ce n’est une zone avec un P21 et P8 (maintenant vous le savez, ça veut dire puits de 21 mètres et de 8 mètres) qui donnera accès à une grande salle quelques heures plus tard : la salle des bivouacs. Nous sommes alors tout proche du fond et donc tout proche de la géocache. Reste à trouver l’accès à une zone de ramping qui permet d’accéder à la toute dernière salle du gouffre. L’accès ne sera pas simple, car c’est un véritable chaos de roche, mais le « bon » trou est finalement trouvé et nous pouvons nous glisser dans la toute petite entrée.
16 HEURES : La dernière salle est de taille moyenne et nous savons que nous y trouverons enfin la cache. Mais voilà, nous tournons en vain, le spoiler en main, sans trouver quoique ce soit ressemblant à la photo… Il y a bien ce trou, mais il est tout petit et personne ne semble très motivé pour y aller… Surtout qu’y entrer, pourquoi pas… mais pourra-t-on en sortir ? C’est toujours la question et c’est vraiment le côté que je trouve le plus stressant en spéléo… les petits trous où il sera impossible de faire demi-tour et où il n’est possible que de progresser centimètre par centimètre au prix d’efforts démesurés, les bras collés au corps et le visage contre le sol. Mais finalement, à défaut d’autre possibilité, le premier courageux se lance et, quelques minutes plus tard, lance un cri de victoire : « Je vois la boite ! »
Sachant le logbook au bout de l’étroiture, nous suivons le mouvement dans ce tout petit espace, pour finir tous serrés comme des sardines contre la roche et dans des positions improbables, mais le logbook en main ! Effectivement, la cache est au plus profond possible : – 646 mètres ! Impossible d’aller plus bas !
Une fois tout le monde sur le papier, il ne reste qu’à sortir de notre trou de souris, et là, l’étroitesse de l’ouverture, associée au sens de la gravité qui nous est maintenant défavorable complique encore plus le mouvement. Mais à force de grognements et de gesticulations nous voilà tous hors du trou. Il ne reste plus qu’à faire le chemin inverse.
20 HEURES : La progression est plutôt aisée et la pensée d’une bonne nuit de sommeil dans notre superbe chalet suisse, suivi d’un gros barbecue nous motive pas mal. Nous n’avons qu’à suivre le son de la cascade pour nous guider… et quel son d’ailleurs ! Il est impressionnant ! En arrivant au pied de la cascade, le débit a au moins doublé par rapport à notre premier passage. Nous escaladons la chute d’eau par le côté et là; nous nous rendons compte qu’il ne va pas être problématique de retraverser la chute d’eau. En effet, notre corde pour accéder à la vire n’est plus visible, car sous les eaux : impossible donc de tenter une traversée sans risquer d’être emporté par les flots 12 mètres plus bas. Comme nous ne pouvons pas discuter ici, nous redescendons pour établir une stratégie.
Nous arrivons rapidement à la conclusion suivante : 1) sans être impossible, traverser est dangereux 2) même en arrivant à remettre en place une vire, nous allons finir complètement trempés et sachant que ces cavités sont froides et qu’il nous reste environ 3 heures de progression pour sortir, nous risquons l’hypothermie. 3) la montée des eaux est certainement due à la très belle journée qui a fait fondre la neige, donc logiquement si nous attendons que la nuit passe, nous pouvons espérer que la neige arrête de fondre et ainsi que le niveau des eaux baisse dans le courant de la nuit.
Il n’est que 20 heures et il va être nécessaire d’attendre pas mal de temps vu le débit actuel. Nous nous installons donc pour rester certainement plusieurs heures. Nous constituons un « point chaud » c’est-à-dire une sorte de petit abri fait uniquement de couvertures de survie. Nous commençons par construire un cadre avec nos cordes que nous accrochons aux reliefs que nous trouvons. Sur ce cadre nous accrochons nos couvertures de survie avec nos mousquetons afin constituer des murs et un toit que nous essayons de faire le plus étanche possible. L’idée est de conserver notre chaleur dans le plus petit espace possible, mais qui nous contienne tous. Quelques bricolages plus tard, tout est prêt et il n’y a plus qu’à se tasser et attendre. L’installation n’est pas parfaite, mais elle permet tout de même de faire monter la température de quelques degrés.
Ici nous sommes dans des grottes alpines et juste à côté de la cascade, donc la température est plutôt basse, peut-être 4 ou 5°C. Si nous devions rester dans la grotte très longtemps, nous serions allés nous installer dans une zone plus chaude, mais nous voulons pouvoir surveiller notre cascade afin de pouvoir partir le plus tôt possible.
Comme nous sommes un peu mouillés, la remontée de la cascade n’ayant pas été sans « éclaboussures », il est impératif de garder le plus de chaleur possible dans notre abri. Pour faire monter un peu la température, nous avons quelques bougies chauffantes et un réchaud « maison » fait d’un bricolage de fond de canettes de soda dans lequel on peut faire brûler un peu l’alcool. Ce dernier sera surtout utilisé pour faire de temps en temps un peu de thé. Évidemment, nous rationnons précieusement ces sources de chaleur, tout comme notre lumière.
Nous attendons donc sans pouvoir bouger, tant nous sommes serrés, que les heures passent, l’oreille à l’affût d’un changement dans le grondement de la cascade. Si les premières heures sont propices à la discussion, rapidement le froid et l’engourdissement nous gagnent et nous somnolons sans toutefois pouvoir vraiment dormir. Entre les positions inconfortables, les tremblements de froid et les crampes qui arrivent, ce n’est pas vraiment un moment de repos. Par contre le moral est bon : nous savons que la fin de la nuit devrait nous apporter un peu de répit quant au débit. Finalement, le pire qui pourrait arriver c’est que soit déclenché un plan de secours. Nous devons appeler avant 8 heures du matin sous peine de voir arriver les secours spéléo… et ça c’est vraiment la dernière chose que nous souhaitons…
MINUIT : Il est difficile de dire si la cascade fait moins de bruit, mais il semblerait que oui. Nous sortons pour essayer d’évaluer la situation et les deux spéléos les plus expérimentés refont l’ascension de la cascade pour voir si notre ligne de vie est accessible. Les revoilà quelques dizaines de minutes plus tard, complètement trempés et avec des nouvelles mitigées : la bonne nouvelle c’est qu’effectivement notre stratégie d’attendre est bonne, le débit baisse. La mauvaise c’est que notre corde est toujours dans l’eau. Après discussion, nous décidons donc de continuer à attendre que le niveau baisse encore.
C’est donc reparti pour quelques heures d’attente et plus le temps passe plus la situation est inconfortable. Assis depuis maintenant plus de 4 heures sur un sol dur et sans pouvoir bouger pour ne pas gêner les autres, les muscles commencent à être douloureux. Les seuls déplacements se font pour sortir de l’abri et aller uriner, ce qui arrive de plus en plus souvent. Ça, ce n’est pas très bon signe, car cela signe le début de l’hypothermie, ce qu’il faut à tout prix éviter si l’on veut pouvoir sortir. Aussi, j’affronte de temps en temps le froid hors de l’abri pour activer la circulation du sang avec un peu d’exercice tout en contemplant la superbe cascade impétueuse… Car même si elle nous bloque dans notre progression, qu’elle est belle !
4 HEURES : C’est sûr, le son est moins fort et de visu le débit semble réduit. Retour en haut de la cascade pour un nouveau binôme de spéléos et cette fois, la corde est à nouveau visible. Le débit reste important et nous finirons forcement trempés, mais si nous voulons sortir dans les délais, c’est maintenant ou jamais. Nous replions notre abri de fortune, réactivons nos muscles et faisons l’ascension de la cascade. La traversée est épique et nous laissons sur place la corde qui traverse la cascade : quelques mètres de corde ne valent pas un accident. Nous voilà tous de l’autre côté de la cascade et pouvons donc poursuivre notre évolution. L’objectif est de sortir avant 8 heures, il nous faut donc nous presser.
Quel plaisir de pouvoir à nouveau progresser et ne plus être statique ! Une fois les muscles dégrippés, je me sens plein d’énergie et prends beaucoup de plaisir à remonter la cavité. Les heures passent et nous remontons en déséquipant rapidement nos cordes, toutefois la fatigue finit par se faire sentir… J’ai le sac qui contient les cordes sur le dos et notamment les cordes mouillées, autant dire que le poids s’accroît au fur et à mesure de la progression. Je n’ai pas trop d’idée du poids vers la fin de la progression, mais cela devient très handicapant… le coup de grâce arrivera avec la dernière corde mouillée qui finira de remplir le sac… Entre la fatigue et les 15 kg sur le dos, je passe mon temps à trébucher et à souffrir pour franchir le moindre ressaut de 2 ou 3 mètres.
6 HEURES 30 : Le dernier grand puits sera vraiment mon calvaire… j’ai mon kit (le sac de spéléo) qui pèse le poids d’un âne mort et j’en ai récupéré deux autres à remonter en même temps, pour alléger ceux qui sont partis devant afin d’empêcher l’alerte des secours. Je monte à une vitesse de tortue asthmatique et une fois en haut du puits de 22 mètres, je coince mes kits et la corde avec mon pantin (système d’accroche de la corde que l’on met au pied). Tout en ronchonnant, je me longe en tête de puits (je m’accroche à l’attache qui surplombe le vide) et je passe quelques minutes à tout remettre d’aplomb pour me libérer de mes sacs. C’est alors que je me rends compte que j’ai complètement emmêlé mes longes (les deux bouts de corde qui permettent, entre autres, de se sécuriser). Donc, accroché à plus de 20 mètres du sol et complètement cuit, je dois bidouiller mes longues pour me décoincer. Avec la fatigue, ce n’est pas simple d’être sûr des bons gestes, aussi je me parle à haute voix : j’énonce la prochaine action et sa conséquence avant chaque manipulation de corde. Il vaut mieux avoir l’air bête que de se retrouver encore plus coincé. Il est grand temps que l’exploration s’achève…
7 HEURES : Encore quelques efforts et je peux sentir l’air frais et voir une lueur au loin. Encore quelques pas et la lueur devient plus vive. Encore quelques mètres de progression verticale sur le dernier puits et je peux voir un soleil radieux, un ciel bleu azur et des montagnes majestueuses couvertes de neige.
Quasiment 24 heures après être entré, nous voilà tous dehors à profiter des paysages fantastiques de la Suisse. Direction quelques heures de sommeil et … le barbecue ! Quelle belle aventure qui me laissera d’impérissables souvenirs. Je suis heureux d’avoir fait ce gouffre et cette géocache en si bonne compagnie ! Merci à mes amis spéléos/géocacheurs !
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Merci pour ce très beau témoignage et bravo pour cette expédition!!!!
excellent!